Il ne s’agit pas ici de faire un inventaire des résultats obtenus dans les différentes classes ni un classement des sujets qui ont le plus suscité « l’inspiration ». Il ne s’agit pas non plus de proposer une correction systématique des différents sujets dont l’initiative doit rester aux professeurs. Il s’agit au contraire, pour nous, de réitérer une fois de plus les exigences attendues lors d’une épreuve de philosophie et d’écarter ainsi tous les discours faisant de la philosophie et des notes une affaire de « subjectivité » avec tout ce que ce terme comporte d’équivoque.
Autant le dire clairement, la note ne dépend pas uniquement du professeur et de son goût plus ou moins marqué pour telle ou telle prise de position soutenue par un élève. Cela ne veut pas dire que le professeur est neutre, étant entendu que ce ne sont pas encore des machines qui corrigent les copies. Cela veut donc surtout dire que chaque professeur corrige avec une sensibilité qui lui est propre mais qui n’est nullement en contradiction avec les exigences requises dans tout travail écrit. Ainsi tel professeur sera plus sensible à l’orthographe et tel autre à la cohérence du propos, pour autant qu’on puisse, en toute rigueur, séparer la pensée de la manière dont elle s’énonce et s’écrit. Voudrait-on unifier complètement ou même uniformiser toutes les corrections, encore faudrait-il, en amont, réclamer la même chose des élèves, à savoir un discours dont les cadres, les références et les implications seraient attendus d’avance.
Cela dit, si les élèves ont le droit de dire ce qu’ils pensent, les professeurs ont le devoir de réclamer le respect de trois règles qu’on peut rappeler et qui sont véritablement garantes d’une certaine « objectivité » en ce qu’elles doivent permettre à chacun d’assumer son propos en l’argumentant.
Le propos doit être conduit selon une démarche car, l’explication de texte, qui n’est pas un « document », et la dissertation sont une démonstration.
Dans le texte, il s’agit de se faire l’avocat d’un auteur en instruisant le texte c’est-à-dire en recherchant tous les éléments que l’auteur ne précise pas et qui, pourtant, sont nécessaires à sa compréhension et à sa défense : les concepts doivent être définis et expliqués, des objections doivent être envisagées. Puisque tout texte est une position (thèse) à l’égard d’un problème, il est aussi bien vu de proposer une autre thèse qui peut instaurer un débat au sein du devoir.
La dissertation répond aux mêmes exigences : expliquer les termes du sujets, se livrer, par étapes (paragraphes), à considérer des points de vue.
Le plan, c’est la démarche elle même en tant qu’elle est organisée pour justifier un propos face un lecteur universel qui doit être à même de comprendre quelles que soient ses compétences, ses dispositions et sa « spécialité ».
Les règles à venir sont évidemment sous-tendues par un usage, que nous attendons rigoureux et précis, de la langue. Il n’est donc pas besoin d’inventer une langue ou de tomber dans une expression qui, parce qu’elle serait difficile à comprendre, serait gage de profondeur et de vérité. Pascal et Rousseau ont su nous éveiller à des thèses admirables avec les mots les plus quotidiens. Les règles élémentaires de syntaxe, de ponctuation, d’orthographe ne sont pas un artifice mais la condition d’une pensée claire. Condition aussi d’une sorte de respect mutuel entre celui qui écrit et celui qui lit.
La première est de formuler clairement le problème implicite dans la question ou dans le texte. La question n’est donc pas le problème : elle n’est que l’indication d’une direction dans laquelle il faut oser s’aventurer pour mettre à jour le problème. Rappelons qu’un problème c’est une proposition paradoxale dont on doit, méthodiquement, analyser les solutions possibles. Il n’est pas possible de répondre directement par oui ou par non sans un examen préalable des différentes perspectives. Autrement dit, il y a problème là ou il y a contradiction entre une thèse énoncée et une opinion communément admise. L’introduction doit donc montrer au lecteur comment on passe de la question au problème notamment par des premières définitions qui vont permettre de mettre à jour des contradictions entre des termes du sujet.
Il est vrai que le mot de problème, ou de problématique, est utilisé dans différentes disciplines et qu’à ce titre il n’est pas le privilège de la seule philosophie.
Retenons simplement que ce qui fait problème dans une question c’est ce qui rend la question digne d’être questionnée au sens où on ne pourrait lui apporter une réponse parce qu’il n’y a pas de réponse immédiate ou toute faite. En la matière vouloir ramener la question ou le texte proposé à une sorte d’invitation rhétorique déguisée est un malentendu : si une réponse est présupposée d’avance, quel est le sens même de l’interrogation ?
La problématique est donc un moment crucial, pour ne pas dire déterminant, dans l’élaboration du devoir. Elle consiste en une mise en avant de quelques questions, organisées et hiérarchisées selon la thèse à soutenir, pour montrer le chemin que l’on se prépare à parcourir en vue d’examiner le problème et de lui apporter une solution. C’est pour cela qu’un plan ne peut être une sorte d’artifice rhétorique du type « oui/non », mais doit plutôt tendre vers un questionnement qui pousse les affirmations jusqu’à leur point de contradiction afin d’arriver à des positions adverses. Afin d’arriver aussi à une « réconciliation » où des contradictions, des paradoxes sont surmontés.
À l’heure du multimédia et de l’internet, où le temps semble être aboli au profit de l’immédiat, il est bon de rappeler qu’il faut du temps pour apporter une solution. Du temps aussi pour saisir la question dans toute sa difficulté. L’épreuve de philosophie n’est pas une forme améliorée de « question pour un champion ». Il ne s’agit pas de répondre vite mais d’apporter une solution (celle dont on aura montré qu’elle semble la plus juste ou la plus vraie), après un chemin de pensée.
La seconde est de ne pas confondre la dissertation de philosophie ou l’explication d’un texte (et non un commentaire de « document ») avec une épreuve d’histoire de la philosophie qui n’aurait de sens que dans la perspective d’une interprétation philosophique de l’histoire. Il y a ce préjugé qu’un bon travail est un travail où l’on cite beaucoup les auteurs ; préjugé d’autant plus ancré dans les esprits qu’il est autorisé par toute une « littérature » de seconde main (annabac, prépabac…) qui réduit les questions de philosophie à des questions d’auteur.
Il est vrai qu’il est utile d’avoir lu quelques textes, mais encore faut-il s’entendre sur la manière dont ils doivent être convoqués.
Ce qui doit être clair c’est que les textes et les auteurs ne doivent pas être cités simplement pour montrer qu’on « sait » de la philosophie. Un tel a priori ne fait que rendre vaine et illusoire toute tentative pour philosopher. En revanche un texte bien maîtrisé, une citation bien amenée peut et doit permettre de préciser, de nuancer la position d’un problème. En aucun cas Descartes et Platon, pour ne citer qu’eux, ne doivent être considérés comme des arguments d’autorité mais comme des possibilités d’approfondir le problème c’est-à-dire lui donner plus de consistance, de nuance, bref plus de richesse. Imaginerait-on un élève traiter une question d’histoire sans « critiquer » les faits et les documents qu’il a sa disposition sous les yeux ou dans sa mémoire ?
Critiquer veut dire distinguer pour mieux interroger : si on décide de citer les auteurs c’est pour dialoguer avec eux, ce qui suppose de préciser, en amont, ce qu’ils veulent vraiment dire dans le passage qui a été retenu. C’est là une règle de politesse et d’honnêteté intellectuelle dont on ne peut faire l’économie.
La troisième règle découle du propos précédent, à savoir que réfléchir sur un problème ce n’est pas donner son opinion. C’est s’efforcer de penser, c’est-à-dire d’interroger et d’examiner ce que l’on croit savoir. Contre les mauvaises langues disons qu’il faut bien distinguer le « propos de comptoir », qui a ses richesses, d’avec un propos philosophique qui sans cesse se reprend et tente de justifier et légitimer ce qu’il avance. Dans cette perspective, il n’est donc pas admis de relater de simples anecdotes, des impressions tirées d’une expérience vécue ou imaginée. Sauf si certaines expériences sont analysées avec un souci d’objectivité et de vérité qui en montrerait le caractère « universel » et en ferait donc une expérience qui instruit et fortifie le propos. Il est incontestable que nous avons tous des opinions et des préjugés. Aucun professeur n’en doute. Par contre, il faut un certain courage pour oser penser c’est-à-dire reconnaître que nous sommes sous l’empire fausses connaissances et tenter de nous en débarrasser.
C’est ce courage dont les professeurs veulent voir la manifestation dans les copies. Et en effet, la tentation est grande de vouloir s’en remettre à des dogmes établis, des raisonnements préconçus d’avance, dont le caractère opératoire est d’autant plus séduisant qu’il sont établis en vue d’apporter (et non de rechercher) une réponse à toutes les questions quels que soient les époques et les lieux. Le mot de Kant, dans son Qu’est-ce que les lumières ? , ne nous enseigne rien d’autre que le propre de la réflexion est d’apprendre à penser sans s’en remettre à des directeurs de conscience : « Ose te servir de ton propre entendement, voilà la devise des lumières ».
Qu’on se rappelle que la « première méditation » [1] se termine par un aveu de « paresse » de la part de Descartes. Qu’on se rappelle, aussi, quels efforts « surhumains » doivent faire les interlocuteurs de Socrate [2] pour sortir de leurs croyances ou de leurs opinions. C’est qu’en effet, penser n’est peut-être pas naturel et demande certains efforts.
On nous rétorquera que ce que nous posons comme des opinions sont peut-être des vérités qu’on ne peut voir comme telles. Reconnaissons que ce serait faire de la vérité une affaire de personnes, ce qui nous renverrait à un relativisme le plus absolu. Les professeurs de philosophie ne détiennent pas la vérité mais ont l’intime conviction qu’il y a une vérité possible dont un certain nombre de discours peuvent s’approcher. Il y a donc une foi en les mots et en la raison. Refuser cela c’est remettre en cause les principes mêmes sur lesquels se fonde l’école.
Ces trois règles, nous le souhaitons, contribueront à dissiper tous les pseudo-discours concernant la philosophie et la manière dont elle doit être traitée. Il n’y a pas de mystère autour de la note de philosophie, sauf à considérer le mystère comme une brume de préjugés.
Reconnaissons aux élèves que les exigences attendues en une année, tant est nouvelle la discipline, demandent un réel travail : prendre la mesure de ce travail c’est déjà se mettre en chemin.
Si la tâche semble difficile et si les professeurs tiennent le cap de certaines exigences c’est qu’ils ont confiance en la capacité de chacun d’être un « ami de la vérité ».
Notes
[1] Descartes, Méditations métaphysiques
[2] Dans les dialogues rapportés par Platon